الخميس، 11 أغسطس 2016

وليم جيمس، علم النفس بين العلم والفلسفة./ صوفيا فيغييه ـ فانسون.



William James, la psychologie entre science et philosophie

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Anatomiste, médecin, psychologue, mais aussi philosophe : William James répond à tous ces qualificatifs. Un savant sans frontières et auteur d’une œuvre programmatique.

William James : un grand intellectuel américain de la fin XIXe et du début du XXe siècle (1842-1910). C’est aussi l’auteur du retentissant ouvrage Principes de psychologie publié en 1890, qui pose les bases de la discipline naissante. Mais il n’est pas rare de croiser aussi son nom dans le champ de la biologie et de la physiologie, des neurosciences, du cognitivisme et du comportementalisme, comme de la philosophie et de la religion. Le portrait s’impose dès lors complexe à dresser. Qui était-il vraiment ? Un fil rouge se dégage pourtant de cette œuvre immense en apparence éclatée : l’expérience avant toute chose. L’approche toujours pragmatique de James devait conduire à l’émergence du courant bien spécifique de la psychologie comme science naturelle et expérimentale dont on ne finit pas de vérifier la pertinence par les moyens neuroscientifiques les plus modernes. Photographie d’un précurseur.

À la source d’un esprit polymorphe

Quelle éducation a bien pu éveiller cet appétit pour des champs aussi variés de la connaissance ? Précisément celle qui privilégiait l’ouverture sur le monde et l’indépendance radicale, dispensée par un père en quête de savoir. James voit donc le jour à New York, dans une famille fortunée qui reçoit les grands intellectuels de l’époque comme les philosophes Emerson et Thoreau. Aîné de cinq enfants, il effectue rapidement de longs séjours en Europe pour fréquenter les meilleures écoles du monde. Ce traitement est surtout réservé aux deux aînés, William et son frère Henry, futur grand écrivain. Les deux autres frères et la petite sœur ne sont pas promis à un destin intellectuel brillant. Et la règle d’or du père : ne pas rester dans la même institution plus de six mois pour échapper à toute emprise. Les deux garçons témoignent d’aptitudes peu communes et survivent à cette errance scolaire qui en aurait désorienté plus d’un. Mais quelle voie choisir ensuite ? Cette question torture William qui hésite entre les diverses sciences, mais aussi la peinture, au point de tout laisser un moment pour s’y consacrer. À l’approche de la vingtaine, lui et Henry sont même tentés de prendre part à la Guerre de Sécession qui éclate en 1861, mais si leur père encourage les plus jeunes frères à prendre les armes pour l’abolition de l’esclavage, il retient les aînés à l’avenir prometteur. Cruelles différences entre les enfants qui pourraient avoir des retentissements sur leur santé psychique… et physique. William et Henry vont mal et traversent des épisodes dépressifs graves qui s’accompagnent de symptômes très invalidants. Mais s’intéresse-t-on aux causes des blessures de l’âme, aux souffrances familiales ordinaires à l’époque ? Cela ne semble pas questionner le futur expert en psychologie qu’est William. Celui-ci attribue davantage son mal-être à une insatisfaction existentielle. C’est son incertitude sur son orientation professionnelle et intellectuelle, sur le sens de sa vie, qui le fait souffrir. Il tente un moment l’aventure au Brésil pour effectuer une mission d’observation naturaliste dont il revient brisé, malade. Il s’inscrit en médecine au retour, mais sans vouloir jamais soigner – il est trop conscient des maigres moyens thérapeutiques de l’époque, et interrompt bientôt ses études temporairement. En « gentleman of the world », il reprend sa quête par un nouveau tour en Europe qui l’amène à lire les géants du vieux continent, comme Shakespeare qu’il adore, Kant dont il se défie, mais aussi Homère en lequel il se ressource, ou Darwin qui l’inspire tant. À Berlin, il suit les cours d’Émile du Bois-Reymond, spécialiste de l’étude des manifestations électriques de l’action nerveuse et musculaire. C’est probablement là qu’il envisage d’étudier la psychologie à partir de la physiologie, d’après Michel Meulders, neurophysiologiste et auteur d’une importante biographie de James (1) qui rapporte des propos éclairants : « Comme objet central d’étude, j’imagine que la région frontière entre la physiologie et la psychologie, là où elles se chevauchent, pourrait en constituer un. (…) C’est à cela que je compte travailler maintenant », écrit James à son père.
Et c’est ce qu’il fait à son retour aux États-Unis, après avoir obtenu son diplôme de médecine. Mais pas sans avoir échappé à sa crise existentielle et à son indétermination pathologique, grâce à la lecture du philosophe français Charles Renouvier et l’adoption de sa théorie de la volonté libre. L’idée d’indétermination du monde et de la personne, rendant possible le choix de son destin mais aussi de ses pensées, le sort de la dépression. Il se soigne en philosophe pour mieux s’aventurer sur le terrain de l’expérience scientifique. De la philo-thérapie avant l’heure, en quelque sorte.

Naissance d’une science

Harvard, 1872 : il commence véritablement sa carrière à 30 ans par l’enseignement de l’anatomie comparée et de la physiologie. Le bouillonnement intellectuel l’enthousiasme et il participe à la fondation du Metaphysical Club, notamment fréquenté par le philosophe Charles Peirce qui le met sur la voie du pragmatisme. Il ouvre aussi l’un des premiers laboratoires de psychologie du monde en 1875 où il fait des expériences de psycho-physiologie, sur l’hypnose. Et dès 1878, il commence la rédaction de son chef-d’œuvre, The Principles of psychology, qu’il va mettre douze ans à conclure. Une somme jamais traduite intégralement en français.
« D’emblée, l’ouvrage se présente comme un traité scientifique tout à fait inhabituel, prévient Michel Meulders. Les Principles sont constitués par un ensemble de chapitres très vastes et parfois disparates, dans lequel coule d’abondance un véritable torrent littéraire ponctuant des anecdotes, des expériences personnelles, des réflexions métaphysiques et morales… » Et la navigation dans l’œuvre n’est pas aisée. D’un côté, William James définit, dans son introduction, la psychologie comme une « science de l’esprit individuel fini (qui) prend en compte comme données d’étude les pensées et les sentiments, ainsi qu’un monde physique avec lequel il coexiste dans le temps et dans l’espace, et qu’il connaît ». De l’autre, il reconnaît dans sa conclusion que « lorsqu’on parle de la psychologie comme science naturelle, il ne faut pas croire que cela implique une sorte de psychologie qui repose enfin sur des fondements solides. Cela implique précisément le contraire : une psychologie particulièrement fragile, où la critique métaphysique suinte de toutes les articulations… » Voilà qui le prépare à poursuivre sa recherche sur le terrain philosophique.

L’expérience avant toute chose

Mais avant cela, il s’aventure sur la terre ferme de l’expérience pour donner un contenu scientifique à cette psychologie naissante. Il observe, collecte des témoignages et procède beaucoup par introspection. C’est ainsi qu’il pose la notion de conscience, non comme concept, idée pure, mais comme fruit d’expérience, de perception de soi et de connaissance du monde. Il présente ce redoublement de la pensée sur elle-même comme un flux de conscience qui assure la cohérence, le sentiment d’identité du sujet. Une manière de revisiter le cogito de Descartes sous l’angle psy et cognitiviste : Je pense, je sens, donc je sais, donc je suis. La psychologie pourrait décidément se faire philosophie ici, mais alors phénoménologie avant l’heure, et donc expérience de l’esprit, des états d’âme, basculant de l’observation individuelle à l’humain, à l’universel. Et William James propose également une science des émotions, toujours par le prisme du pragmatisme, ce qui l’amène à renverser la proposition de bon sens : « j’ai peur donc je fuis », en : « je fuis donc j’ai peur ». Parce qu’il s’attache toujours aux conditions de naissance des états psychiques inséparables de l’environnement physiologique. La peur n’est rien sans l’accélération cardiaque, la sudation, le réflexe qui entraîne la fuite. Tout ce que les neurosciences s’appliquent à vérifier aujourd’hui, d’ailleurs. S’il pousse loin le paradoxe, la logique est implacable et l’argument cheville l’esprit au corps, une idée neuve à l’époque de la rédaction des Principles.
Et c’est encore cette idée de flux de conscience ininterrompu qui le conduit à creuser notre rapport au temps, à l’instant présent. Le développement aurait pu être très conceptuel, mais il repousse d’abord toute approche métaphysique. Si le présent pur n’est pour lui qu’une abstraction, la perception d’infinis segments de vie qui se chevaucheraient propose une expérience temporelle bien tangible. Je suis maintenant un peu de ce qui vient juste de se passer et déjà un peu de ce qui va advenir par la conscience et la volonté. De quoi amener également de nouvelles considérations sur la mémoire qu’il décrit de façon polymorphe, primaire et immédiate d’un côté, mais aussi secondaire et reproductrice de l’autre. Et s’il y a continuité de la conscience, comment comprendre cette double force d’effacement et de rappel des souvenirs, des tranches de vie qui reviennent à l’esprit sans constituer ces expériences elles-mêmes ? C’est le physiologiste qui amène une réponse sur le fonctionnement de la mémoire par mécanismes cérébraux, que les chercheurs mettront des décennies à valider totalement. Jean-Claude Dupont, professeur de philosophie et d’histoire des sciences à l’université de Picardie, rappelle l’importance de la théorie associationniste pour James, mais aussi pour les scientifiques à venir : « D’après James, pour se souvenir, il faut créer une association entre la chose à se rappeler et une sensation ou un objet. Cette correspondance est rendue possible par des voies nerveuses, situées dans les hémisphères cérébraux qui assurent la conservation d’une pensée et le rappel du souvenir, explique-t-il. Dès lors, la mémoire sera fonction du nombre et de la persistance des voies nerveuses, elles-mêmes liées à une quantité native de tissus cérébraux. » James est aussi le premier à parler de plasticité cérébrale. Voilà qui annonce les travaux sur la mémoire de réserve passive et active des neuroscientifiques actuels ! Et qui permet aussi à James de modéliser les mécanismes de l’attention, à la source de la mémorisation, donc les conditions d’une éducation qui les développerait. Et l’on ne s’étonne pas qu’un chercheur comme Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherches en neurosciences cognitives à l’INSERM, se réfère tant aujourd’hui à William James dans ses travaux sur l’attention en lien avec le milieu éducatif (William James, éd. Hermann, 2010).

James en héritage

Pour Jean-Claude Dupont, « cette approche avant-gardiste de la mémoire peut aussi s’imposer comme un point de convergence de toutes les méthodes employées par William James dans ses recherches : la biologie et la physiologie, le comportementalisme, le cognitivisme, le pragmatisme et l’introspection. » Cela va irriguer largement les recherches futures dans tous ces domaines. Mais aussi le futur behaviorisme américain, et si Watson, chef de file historique, critiquera beaucoup James, il s’y référera sans cesse, rappelle Jean-Claude Dupont.
L’œuvre de James est aussi déterminante en philosophie. Pas seulement pour l’essor du pragmatisme, mais pour annoncer la phénoménologie future, lancée peu de temps après par Husserl. Et si les Principles of Psychology tirent irrésistiblement vers la métaphysique, les importants travaux philosophiques ultérieurs du chercheur de Harvard seront nourris d’expériences et d’introspection psychologique. Point de réelle rupture chez cet auteur hors norme. C’est ainsi que James rationalise par l’expérience les notions de croyance et de foi, ce qui pourrait le promouvoir comme psychologue du fait religieux – la discipline n’existe pas encore, mais qui sait. Il en vient à concevoir un théisme sans dogme, rationnellement nécessaire et pouvant guider le sens de nos actions, qui repose sur une conception indéterminée du monde nous laissant libre de nos choix humains mais nous reliant, par l’intuition, à une expérience de l’invisible. Bien des contemporains en quête de sens sur fond de laïcité aujourd’hui s’y retrouveraient, même si les expériences en parapsychologie d’un James décomplexé suscitent tout de même bien des réserves. Mais on ne peut être que vivifié par une éthique de l’optimisme de James nous poussant à croire en la meilleure issue possible de toute chose, la force de notre conscience lui permettant bien souvent d’advenir. Espérer toujours avec William James. Quelle meilleure thérapie ? •

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