الجمعة، 10 فبراير 2017

Alain Blanchet : « Guérir, c’est sortir de soi »


Alain Blanchet : « Guérir, c’est sortir de soi »
Propos recueillis par Jean-François Marmion
Article modifié le 01/07/2016

L’efficacité des psychothérapies, malgré leurs diversités, repose en grande partie sur l’alliance thérapeutique, libérant elle-même la parole du patient… Ou plus exactement son « dire », selon Alain Blanchet, professeur émérite de psychologie à Paris 8 et auteur de Les Psychologies sont-elles rationnelles ? Dire, faire dire et guérir (PUG, 2016). Tout cela dans un cadre thérapeutique comportant sa part de théâtre, pour mieux sortir de son rôle habituel.
Au début de votre dernier livre, vous qualifiez les différents modèles psychothérapeutiques d'« apnées théoriques ». Que voulez-vous dire exactement ?
D'abord, s'agit-il vraiment de théories ? Oui, peut-être au sens dogmatique ou métaphysique du terme, en tout cas ce ne sont pas des théories scientifiques puisqu'elles ne sont pas fondées sur des faits, mais confirmées par ce qu'elles produisent elles-mêmes comme effets. Il n'y a pas d'oxygène dans ces conceptions ! Comme Wittgenstein, on peut penser que les thérapies reposent sur des mythologies. Par exemple, la psychanalyse est fondée sur un système théorique complexe qui fonctionne bien, mais ce n'est pas une théorie au sens scientifique du terme.
Certaines thérapies comme les TCC ou l’EMDR sont tout de même soucieuses de montrer leur efficacité avec des assises scientifiques solides ?
Ce n'est pas ce que je crois : leur principe actif n'est pas déterminé, ni totalement expliqué. Pourquoi les TCC revendiquent-elles encore cette idée de « schéma dépressogène », dont l’assise scientifique reste à démontrer ? Quant à l’EDMR, il s’agit pour moi d’une version nouvelle, extrêmement technicisée, très efficace, de l'hypnose. Mais sa revendication d'une explication neurologique ne repose sur rien : vous pouvez invoquer le cerveau de la même manière que les Grecs évoquaient les dieux de l'Olympe ! Comment peut-il y avoir autant de théories, de types de psychothérapies différentes, qui amènent globalement les patients à guérir ? Si leur efficacité est bonne et à peu près générale, pourquoi recourir à des explications aussi différentes ?
Les thérapies ont tout de même l’alliance thérapeutique comme dénominateur commun ?
De nombreuses études montrent en effet que la variance des effets produits par les psychothérapies s'explique à peu près à 50 % par des facteurs communs, principalement les caractéristiques des thérapeutes comme la sensibilité, la flexibilité, la capacité de comprendre le point de vue de l’autre… C'est bien de montrer cela, mais ce n'est pas ce qui me paraît le plus important : c'est le type de lien qui prime. Car même les meilleurs thérapeutes sont plus ou moins bons suivant les patients. Parfois, ça ne prend pas : c'est donc l'interaction qu'il faut considérer. Elle est typiquement langagière, le corps en faisant partie. J'insiste moins sur le langage que sur le dire. Ça ne fait pas forcément du bien de parler, ce qui fait du bien c’est de dire, et dire ne peut se faire que dans l'interaction avec autrui. La psychothérapie est un lieu de recherche de vérité de soi, de son rapport à l'autre et au monde. La psychothérapie nous libère de nous-mêmes. Elle apprend à cesser de se chercher.
Le dire peut aider à guérir, mais il peut aussi rendre malade à force de ressasser des culpabilités, des obsessions… Il est à la fois le bourreau et le sauveur ?
Absolument. Le ressassement est extrêmement pathogène, et c'est justement le rôle du thérapeute, par son action dissociative plus ou moins forte, de ne pas laisser le patient se perdre dans sa parole. En déstabilisant cette parole, le thérapeute tend à positionner le patient dans un hors champ de son langage ordinaire.
Vous insistez beaucoup sur ce phénomène de dissociation, justement. Comment le définir, et quel rôle joue-t-il dans le processus thérapeutique ?
En me relisant, je me suis dit que je n'aurais pas dû employer ce terme, utilisé par Bleuler qui y voyait le signe de la schizophrénie : il faudrait plutôt parler de distraction attentionnelle. Quand Rogers dit qu'il est sans intérêt de continuer de discuter sur le problème du patient en tant que tel, il dit que ce n'est pas dans le problème qu'on trouve la solution. Les systémiciens comme Watzlawick et Bateson le disent, eux aussi : il faut sortir du champ pour trouver un autre point de vue, un autre angle. C'est ça, la dissociation. Elle est très claire par exemple dans le traitement hypnotique des patients traumatisés. Une fois l'alliance thérapeutique renforcée, la confiance totale établie, on leur demande de s'imaginer dans un cinéma, et de regarder le film de ce qui leur est arrivé. On peut même leur demander d'être l'opérateur, celui qui se trouve derrière la salle, derrière le petit carré d’où sort la lumière, et de se regarder en train de regarder le film de leur histoire traumatique. Plus on est souffrant, plus on se remet dans les mains de quelqu'un en qui on a confiance, plus facilement on arrive à cette dissociation.
C'est un peu comme la méditation, où vous demande de « dé-fusionner » d’avec vos pensées ?
Exactement. Il est curieux que guérir de soi soit sortir de soi. La dissociation, c'est devenir quelqu'un d'autre qui regarde le soi habituel. C'est un paradoxe. Ce soi souffrant est oublié, il disparaît, il s'évanouit.
La dissociation se trouve aussi à la base de l'état hypnotique : on se retrouve à la fois conscient et spectateur, abandonné le cas échéant aux suggestions du thérapeute.
C'est très étrange, mais je suis toujours surpris par cela. Il existe des niveaux de dissociation, donc d'états hypnotiques, très différents en fonction des personnes. Les thérapeutes pratiquant l'hypnose sont eux-mêmes souvent étonnés. Cela reste un phénomène mystérieux. Pour ma part, je pense que la psychanalyse relève de l'hypnose légère : il s’agit de placer le patient dans une situation où il contrôle moins ses pensées, ses gestes, son corps. Il s'en remet plus ou moins à son thérapeute. Pour les TCC, c'est un peu plus compliqué à cause de leur revendication de l’aspect « éducatif » de la pratique ou du moins de la fonction de désapprentissage. Il n’en reste pas moins que la confiance absolue en quelqu'un est la clé de la cessation des troubles. 
On en revient toujours aux vieux débats de la fin du XIXe siècle entre Charcot et Bernheim, hypnose et suggestion. Finalement, une psychothérapie n'est-elle pas juste une suggestion acceptée par le patient ?
Je pense que c'était l'opinion de Freud de soutenir la position de Bernheim même s'il a toujours reconnu Charcot comme son maître. Charcot ne voyait pas forcément dans l'hypnose un effet psychologique, mais plutôt biologique. Le terme de suggestion me gêne quand même. Il voudrait dire qu'on est soumis à l'influence de quelqu'un de charismatique, or les psychothérapies échappent à ce phénomène sectaire précisément parce que l’action du thérapeute consiste aussi à s'effacer en tant que personne impliquée dans la relation. D’où cette aspiration, chez le patient, à trouver une forme de liberté pour soi plutôt que de se soumettre à un autre.
Mais le thérapeute peut-il s'empêcher de faire des suggestions, ne serait-ce que par ses silences ou ses « hmm hmm » ? Il renforce toujours un discours ou un autre, une attitude…
Bien sûr. Mais ça peut presque fonctionner dans les deux sens. Le patient parfois aussi adresse des réflexions qui visent à faire plaisir au thérapeute.
Le patient peut-il alors développer des symptômes pour plaire aux thérapeutes ?
Tout est possible dans le courant de la thérapie.
Vous parlez de la représentation de soi. Quelle est la part de théâtre dans une psychothérapie ? Y a-t-il un rôle, un discours attendu de la part du patient et peut-être celle du thérapeute ?
C'est bien un théâtre, mais très particulier dans lequel on est à la fois spectateur et acteur. On gagne sur tous les tableaux ! C'est un lieu où l’on se rejoue. Les rôles sont vite compris. Par exemple, on peut chercher qui imite qui : au bout d'une quinzaine ou d'une vingtaine de séances, les patients parlent comme leur thérapeute. Mais les thérapeutes, eux, ne changent pas : ils maintiennent leur professionnalisme. C'est un théâtre où petit à petit les rôles et les postures s'ajustent. Mais je ne suis pas sûr que les rôles soient les mêmes dans toutes les obédiences thérapeutiques car elles impliquent des mises en scène différentes.
Qu'appelez-vous les « éternelles mises à jour du soi » ?
Le soi est une notion obscure surtout littéraire. Le soi n'est jamais que l'objet que regarde le moi. Les autres exercent évidemment une influence sur cette perception. Certains patients ne cherchent pas nécessairement leur soi. D'autres ont le sentiment que leur caractère, leur personnalité, sont leur soi, leur petite patrie à eux. Croire en un soi immuable peut relever selon moi de la psychopathologie. Les psychothérapies créent cette possibilité de changement de point de vue ou de regard sur soi.
Être guéri, c'est donc accepter de retrouver une fluidité, de changer ?
Absolument ! Élargir son champ de connaissance des autres et de soi-même, découvrir des mondes nouveaux.
Ce qui est primordial, c'est de lâcher prise en quelque sorte ?
C'est en effet ne plus être dans un rapport au monde de conquête, d'évaluation, de jugement. C'est tout d'un coup retrouver une sorte de liberté sans ruminations et sans projets impossibles. On retrouve de tels préceptes dans beaucoup de philosophies orientales. Il manque aujourd’hui une anthropologie de la psychothérapie, les guérisseurs et les chamanes dans un rapport étroit avec la société et la culture dans laquelle ils vivent, font jouer des ressorts tout à fait efficaces dont les principes actifs ne sont pas très éloignés de ceux de la psychothérapie occidentale. Pour moi le psychothérapeute reste un intercesseur entre le connu et le méconnu, du patient.

      
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COMMENTAIRES
commentaires Il y a actuellement 3 commentaires, réagissez à cet article
Rationalité des psychothérapies
Noureddine KRIDIS
 - 
le 01/02/2017
J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt et de plaisir l'échange entre Blanchet et Van Rillaer. Je souhaite simplement introduire la question du sens (de la vie, du travail...)et le rôle des psychothérapies à l'approcher selon la position de départ du patient. Le sens est-il rationnel? J'aimerai ajouter que souvent les personnes heureuses sont plutôt dans "l'association" car la sensation du bonheur est justement dans une forme d'oubli de soi. Alors que souvent aussi, l'on se rend compte que l'on est sorti d'une dépression à l'occasion d'un dédoublement qui pourrait se traduire par une auto-proclamation "tiens, je me sens mieux, je suis autre, je ne suis plus malade..." Alors le sens de toutes les psychothérapies n'est-il pas dans l'administration, non pas de la preuve, mais de la contre -preuve. L'on comprend ainsi l'importance du paradoxe, depuis les grecs dans l'accompagnement des personnes et la prescription donnée de Watzlawick déjà au niveau des titres de deux petits ouvrages "comment réussir à échouer?" et "Faites vous votre malheur".
N.K
Professeur des Universités
Rationalité des psychothérapies
Blanchet Alain
 - 
le 21/07/2016
Je remercie Jacques Van Rillaer pour la qualité de son commentaire presque toujours juste, sauf sur un point, je cite :

"On peut se demander si la conception de Blanchet, qui guide sa pratique, est une “apnée théorique” parmi d’autres."

Je ne propose pas une conception thérapeutique supplémentaire, mais une réflexion anthropologique large sur ces pratiques multiples qui ont pourtant toutes un air de famille. Cette réflexion est adossée à des recherches expérimentales sur le dire et la compréhension des effets de l'interaction langagière en s'inspirant largement de la recherche en pragmatique du langage et de la communication.

Alain Blanchet
Commentaires
Jacques Van Rillaer
 - 
le 20/07/2016
1) Pour Blanchet, les psychothérapies reposent, in fine, sur des mythologies. Il invoque l’autorité de Wittgenstein qui, en connaissance de cause, s’était prononcé UNIQUEMENT sur la psychanalyse: 
«La séduction des idées de Freud est exactement celle qu'exerce la mythologie» (“Leçons et conversations sur l'esthétique, la psychologie et la croyance religieuse”. Extraits dans “Freud. Jugements et témoignages”, PUF,p. 266).
 
Pour connaître les arguments de Wittgenstein, lire le remarquable ouvrage de J. Bouveresse: Philosophie, mythologie et pseudo-science. Wittgenstein lecteur de Freud. Ed. de l'éclat, 1991, 141 p.

2) On peut se demander si la conception de Blanchet, qui guide sa pratique, est une “apnée théorique” parmi d’autres ou si lui est le génie qui se fonde, enfin, sur des faits parfaitement objectifs et sur une conception vraiment solide.

3) Les TCC, c’est tout de même beaucoup plus que l’idée du “schéma dépressogène” de Beck, l'ancêtre de la “thérapie cognitive” ! C’est sont des centaines d’études qui montrent par exemple l’efficacité de l’“exposition” pour le traitement des phobies ou de l’“exposition avec prévention de réponse” pour le traitement des TOC.

4) “Dire” suffit certes pour les trouble mineurs (petits angoisses, dépressions transitoires, deuils non pathologiques, etc.). Mais, même si “dire” est l’occasion de dire autrement et de modifier des “schémas cognitifs”, cela reste souvent insuffisant dès que les problèmes sont importants. Il faut en plus organiser méthodiquement de nouvelles tentatives d’AGIR. Les thérapeutes “cognitivistes” les plus réputés l’ont eux-mêmes admis. Meichenbaum p.ex. écrit : “La meilleure façon d'opérer un changement de ses propres structures cognitives consiste à expérimenter des actions faisant découvrir que les anciennes structures cognitives sont discutables et peu fondées, et que l'adoption de nouvelles structures, mieux adaptées, est gratifiante. Les données de l'expérience (c'est-à-dire les résultats d'expérimentations personnelles) fournissent la base la plus convaincante pour modifier sa propre identité, le monde et leur interaction” ("Stress inoculation training", Pergamon, 1988, p. 9)

5) D’accord pour reconnaître l’importance des facteurs communs aux thérapies, comme je l’ai aussi
 


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