Mort de Tzvetan Todorov
Mis à jour le 08/02/2017
L'historien des idées est mort mardi 7 février
2017 à l'âge de 77 ans. Pionniers de la critique textuelle, proche de Roland
Barthes et de Gérard Genette, Tzvetan Todorov est né en 1939 à Sofia, en
Bulgarie, et s'est installé définitivement en France en 1963.
À partir des années 1980, il se tourne de plus en plus vers des
problèmes historiques et moraux, comme la question du totalitarisme. Nous
vous proposons de (re)lire un entretien qu'il nous avait accordé en 2009.
Dans La Signature humaine, Tzvetan
Todorov se raconte à travers de grandes figures des arts et de la pensée. Avec
une intuition : l’humain ne construit du sens qu’à partir de sa propre
histoire.
Une longue silhouette, un regard gai, un phrasé lent et musical : Tzvetan Todorov, c’est d’abord une présence. Attentif et chaleureux, il déroule sa vie dans l’appartement mansardé où il nous reçoit. La jeunesse en Bulgarie, la dictature communiste, l’exil en France, les premiers travaux sur les formes narratives dans la littérature, aux côtés de Roland Barthes. A l’époque, il veut édifier rien moins qu’une théorie scientifique de la littérature, dans le double sillage des formalistes russes et de la linguistique structurale, façon Mikhaïl Bakhtine et Roman Jakobson. Son Introduction à la littérature fantastique (1970), sa Poétique de la prose (1971), ses Théories du symbole (1977) deviennent des classiques des études littéraires dès leur publication.
Une longue silhouette, un regard gai, un phrasé lent et musical : Tzvetan Todorov, c’est d’abord une présence. Attentif et chaleureux, il déroule sa vie dans l’appartement mansardé où il nous reçoit. La jeunesse en Bulgarie, la dictature communiste, l’exil en France, les premiers travaux sur les formes narratives dans la littérature, aux côtés de Roland Barthes. A l’époque, il veut édifier rien moins qu’une théorie scientifique de la littérature, dans le double sillage des formalistes russes et de la linguistique structurale, façon Mikhaïl Bakhtine et Roman Jakobson. Son Introduction à la littérature fantastique (1970), sa Poétique de la prose (1971), ses Théories du symbole (1977) deviennent des classiques des études littéraires dès leur publication.
« Puis les choses ont changé », explique-t-il simplement. Après avoir passé
vingt ans à étudier méticuleusement les formes sémiotiques, il s’est enfiévré
pour le fond. Tour à tour historien de la conquête espagnole, commentateur de
Montaigne, exégète des peintres flamands, moraliste, penseur de la diversité
culturelle, il a lâché la théorie structurale pour glisser vers des sujets
politiques et moraux. « Le débat sur les idées, interdit dans la Bulgarie de
ma jeunesse, est sorti de la zone rouge », glisse-t-il.
Son nouveau livre, La Signature humaine. Essais 1983-2008 (Seuil, 2009) lui ressemble : éclectique,
personnel et pénétrant. Il plonge le lecteur au cœur des existences de
personnages exemplaires : Germaine Tillion, Raymond Aron, Edward Saïd, R.
Jakobson, M. Bakhtine mais aussi La Rochefoucauld, Mozart, Stendhal, Goethe. A
travers ces rencontres, Todorov dessine en filigrane son autoportrait – un
« portrait chinois », composé de ses goûts pour les autres. « On ne pense
que par reflet », affirme-t-il. On
pourrait lire ce livre comme une galerie de portraits d’hommes et de femmes de
bonne compagnie, un panthéon personnel destiné aux amateurs éclairés.
L’essentiel est ailleurs. Todorov y déploie une thèse forte : le chercheur en
sciences humaines, comme l’écrivain, n’analyse les faits qu’à partir de son
vécu personnel. A la différence du chercheur en sciences naturelles, il doit
abolir le mur entre sa vie et son œuvre. Il ne s’agit en aucun cas de céder aux
mirages de l’introspection et de partir en quête d’un « moi » authentique. Il
faut seulement considérer lucidement les rencontres qui nous façonnent : « Nous sommes
entièrement faits des autres, de ce qu’ils nous ont donné, de leurs
impressions, de leurs réactions. Le moi profond n’existe pas. »
Plus vraiment sémiologue, « pas tout à fait philosophe », Todorov se distingue depuis toujours par ses
talents d’interprétation : il met toute son intelligence au service des œuvres
des autres. Sa pensée émeut car elle est travaillée par le doute. Ses
virevoltes théoriques, de la sémiotique à l’humanisme, ses digressions sur le
mal, ses improvisations sur l’art ou sur l’amour, ses enthousiasmes et ses
combats : tout cela lui confère une voix singulière dans le paysage
intellectuel européen. Chez lui, l’humilité, réelle, se conjugue avec une
ambition démesurée : il veut saisir l’essence de l’humanité, car il est
convaincu que la sagesse humaine dépend de cette connaissance. A 70 ans, il
pourrait s’arrêter et cultiver son jardin. Mais non. Il s’engage toujours dans
de nouveaux projets, des conférences, des recherches, des livres. « Il me
semble que l’on peut aller encore plus loin dans la compréhension des êtres
humains. Tout cela n’est pas encore tout à fait clair. » Jusqu’au bout, il est décidé à scruter les
attitudes, les failles, les reliefs des humains que nous sommes. Rencontre.
Quel est le sens du
titre de votre nouveau livre, La Signature humaine ?
J’avais déjà pensé à
cette formule, « la signature humaine », quand je l’ai rencontrée dans un livre
de G. Tillion. L’expression m’avait frappé parce qu’elle résumait, en quelque
sorte, ma propre trajectoire. J’y trouve mon point de départ, le signe, et mon
point d’arrivée, l’être humain ! Quand j’ai commencé mes recherches, dans les
années 1960, l’étude des signes, dans toute leur variété, en constituait le
cadre général. Je voulais explorer leurs facettes à travers une théorie du
langage, de la littérature, des arts. Puis je suis allé chercher ce qui se
cachait derrière les signes. Je me suis senti attiré par la compréhension des
comportements humains eux-mêmes, et non plus seulement par celle des formes de
leur expression. En même temps, je me suis reconnu dans une tradition
philosophique, l’humanisme. Je m’interroge constamment sur la nature des choix
humains : politiques, moraux, sociaux. Je ne dispose pas pour autant d’une
définition absolue de l’humain ; j’étudie plutôt les grandes attitudes que prennent
les hommes face aux défis auxquels ils sont confrontés au cours de leur
existence.
Dans ce livre, vous
brossez une série de portraits : G. Tillion, R. Aron, E. Saïd, R. Jakobson, M.
Bakhtine, etc. La vie des auteurs peut-elle éclairer leur œuvre ?
Quand j’étais
étudiant, il existait une forme de dogme : nous devions connaître « l’homme »
et « l’œuvre ». Nos professeurs postulaient une relation de causalité entre la
destinée individuelle d’un auteur et le contenu de ses livres. Ma génération
s’est opposée à ce dogme. Dans les années 1960, nous estimions que la vie d’un
auteur, quelle qu’elle fût, offrait peu d’aide à la lecture ; nous étions tous,
comme Marcel Proust, « contre Sainte-Beuve »… Dans l’optique structuraliste,
l’intérêt se portait sur les lois qui régissaient les récits, les sens
métaphoriques du poème ; la référence biographique nous paraissait sans
intérêt. Aujourd’hui, je ne pense toujours pas que la vie explique l’œuvre ;
mais plutôt que « la vie » est, à son tour, une œuvre. Notre vie n’est même
rien d’autre qu’une série d’œuvres, certaines verbales, d’autres de
comportement, et leur interaction est hautement significative.
De quelle manière ?
G. Tillion en donne un
exemple frappant. Elle fait des études d’ethnologie dans les années 1930, puis
va sur le terrain, en Algérie. Après la débâcle, elle s’engage dans la
Résistance, est arrêtée, emprisonnée, puis déportée dans un camp de
concentration. A son retour, on lui demande un rapport sur l’ethnie qu’elle
avait étudiée, les Chaouïas. Elle découvre alors qu’elle ne peut plus répéter
ses thèses d’avant-guerre. Pourtant, elle n’a reçu aucune information nouvelle
sur cette ethnie ! La seule chose qui a changé, c’est elle-même. Sa vie à
Ravensbrück lui a appris à interpréter différemment les conduites humaines :
les effets de la faim, la place de l’honneur, le sens de la solidarité. Son
identité intervient donc dans son travail scientifique. Il en va de même dans
les autres sciences humaines. Ce qui fait un grand historien, un grand sociologue
ou par ailleurs un écrivain n’est pas la simple collecte des faits mais leur
mise en relation et le sens qu’il leur donne. Or cette mise en relation est
accomplie par le sujet à l’aide d’un appareil mental qui est le produit de
notre existence même. L’étude de l’œuvre ne permet donc pas de mettre entre
parenthèses l’identité du savant ou de l’écrivain. C’est ce que j’essaie de
montrer dans mes « portraits ».
Dans votre propre vie,
qu’est-ce qui vous a conduit à réorienter votre pensée ?
Une meilleure
intégration dans le cadre dans lequel je vivais, et en premier lieu
l’expérience de la paternité. A la naissance de mon premier fils, en 1974, j’ai
découvert en moi des sentiments nouveaux, d’une intensité bouleversante,
entraînant aussi une grande responsabilité. Dans la vie d’un individu sans
ancrage social, et surtout sans enfants, il reste la possibilité de penser le
travail – par exemple, la thèse que l’on écrit – comme un monde en soi. Si vous
sentez constamment l’appel de votre enfant, il devient difficile de garder une
frontière étanche entre votre vie et votre pensée. J’ai été heureux de dépasser
ce stade d’enfermement dans un monde à part, pour chercher une relation
significative entre ce que j’étais et ce sur quoi je travaillais – sans pour
autant verser dans l’autobiographie. Cela m’a conduit à m’intéresser davantage
au monde dans lequel je vivais, et non plus seulement au savoir abstrait.
Dans La Signature humaine, vous étudiez les
auteurs à travers le prisme des épreuves douloureuses qu’ils ont traversées :
la maladie, le deuil, l’expérience des camps… Faut-il souffrir pour penser ?
C’est une question
redoutable, à laquelle je n’ose pas donner de réponse. Ne serait-ce que parce
que j’ai peu souffert dans ma vie… Je constate en effet qu’il existe une
inquiétante liaison entre la vulnérabilité, la souffrance, et la capacité
d’aller plus loin dans la connaissance de l’humain. Comme si le bonheur barrait
la route à la compréhension la plus vive… Ou bien ma théorie est fausse, ce qui
serait rassurant pour moi, ou bien elle est juste et je suis un piètre
penseur ! Peut-être que j’essaie de compenser cette absence d’expérience
douloureuse dans ma propre existence en me passionnant pour celle des autres.
Et plus particulièrement pour les humains dont le parcours a quelque chose de
brisé, de vulnérable, voire de tragique. Je ne suis attiré ni par les héros, ni
par les « monstres ». Je préfère comprendre les êtres faillibles dont la vie
ressemble, comme disait Montaigne, à un « jardin imparfait ». Ils me paraissent
plus représentatifs de la condition humaine.
« Tout intellectuel est un exilé de sa
condition natale », écrivez-vous. Vous avez vous-même vécu l’exil, de la Bulgarie
à la France. En quoi cette expérience peut-elle aider à penser le monde ?
Je me considère comme
un « homme dépaysé », non seulement parce que j’ai changé de pays, mais aussi
parce que je tends à un certain regard dépaysant sur le monde. En ce sens,
l’intellectuel diffère du militant. Son rôle n’est pas de mener une action en
vue d’un but, mais de mieux comprendre le monde, et pour cela il doit
s’extraire des évidences. L’exilé ne partage pas les mêmes habitudes, il est
donc étonné devant ce qui paraît aller de soi pour ses nouveaux compatriotes.
L’exil introduit une distance entre soi-même et le milieu dans lequel on vit,
qui est propice à la pensée. Mais il n’est pas obligatoire ! Beaucoup de
personnes éprouvent ce détachement sans avoir vécu l’expérience de l’exil
physique. Disons seulement que le changement de pays, quand il se passe sans
drame, facilite le détachement indispensable au travail intellectuel, lequel
s’accomplit mal quand on se confond avec les acteurs que l’on étudie.
Quel rapport
entretenez-vous avec l’engagement politique ?
J’ai grandi en
Bulgarie dans les années d’après-guerre. Le totalitarisme qui y régnait
n’incitait pas à l’engagement. Il n’offrait que deux carrières possibles : soit
vous faisiez carrière au sein du Parti communiste, soit vous vous détourniez
complètement de la vie publique. Comme beaucoup de Bulgares, j’ai choisi cette
seconde voie. J’établissais une coupure radicale entre « eux », ceux qui
géraient le pays, et moi. J’ai ainsi reçu une sorte de vaccination qui m’a
gardé longtemps éloigné de tout intérêt politique. J’ai changé à partir de
1973, l’année de ma naturalisation française. Petit à petit, j’ai commencé à me
sentir concerné. Des sujets imprégnés de valeurs morales et politiques
m’intéressaient : la rencontre avec les autres, les sources de la violence,
l’expérience des camps de concentration, les abus de la mémoire. J’ai même
écrit un petit livre sur la guerre d’Irak ! Cela dit, je ne suis pas devenu un
militant. Je n’ai de carte dans aucun parti et signe rarement des pétitions.
Mais il m’arrive de prendre position. Par exemple, je suis intervenu au moment
de l’annonce du projet d’un ministère de l’Identité nationale, parce que cette
idée me semblait à la fois inconsistante sur le plan anthropologique et nocive
sur le plan politique.
Politiquement, vous
vous définissez comme un modéré. Ne peut-on pas être modéré à l’excès ?
Dans l’histoire
récente, l’exemple type de « modération » excessive serait la conférence de
Munich, en 1938. Les puissances occidentales tentent alors d’amadouer
l’agression nazie, et cèdent. Mais s’agissait-il vraiment d’une attitude
modérée ? C’était plutôt un acte à courte vue. L’évitement de la violence ne
convient que là où le danger n’est pas réel. Or en 1938, la menace hitlérienne
était devenue une évidence pour quiconque voulait ouvrir les yeux. Pour ma
part, je me reconnais dans une autre forme de modération. Aucun pouvoir sans
limites n’est légitime, nous enseigne Montesquieu. La modération, au sens fort,
ce n’est pas la mollesse, mais la limitation de chaque pouvoir par des
contre-pouvoirs. C’est une organisation de l’espace public où l’on tient compte
de la diversité humaine. On ne cède pas devant la violence, bien au contraire.
Dans le même esprit, je défends ce que j’appelle la civilisation, notre
capacité de reconnaître les différences des autres sans forcément les dénigrer.
Suis-je, néanmoins, modéré à l’excès ? C’est à vous de le dire…
Dans votre livre, vous
revenez à plusieurs reprises sur la question du mal. Selon vous le mal est
profondément ancré dans la nature humaine. Si le mal est en chacun de nous,
comment lutter contre lui ?
Je ne crois pas à un
« mal » cosmique et invariable, mais il est vrai qu’on en retrouve les
différentes formes à tout stade de l’histoire. Il provient de ce que chacun a
besoin des autres, mais que ces autres ne lui accordent pas spontanément ce
qu’il désire. Cet égocentrisme est particulièrement dangereux quand il devient
collectif. Les pires forfaits ont été commis pour protéger les « nôtres » face
à une menace venue d’ailleurs. Ce manichéisme, qui confond « nous et les
autres » avec « ami et ennemi » ou, pire, avec « bien et mal », est mortifère.
Par toutes mes forces – qui sont faibles –, j’essaie de le combattre. Pour
cela, j’observe ses formes, et aussi les manières de lui résister, et je les
raconte dans mes livres. En ce sens, je reste proche des idées des Lumières :
je lutte contre le mal par le moyen de la connaissance.
Qu'est-ce qui nous
éclaire le mieux sur l'humanité : les sciences humaines ou la
littérature ?
La littérature est la
première des sciences humaines ; pendant de longs siècles, elle était aussi la
seule. Son objet, ce sont les comportements humains, les motivations
psychiques, les interactions entre les hommes. Et elle reste toujours une
source inépuisable de connaissances sur l’homme. Marx et Engels disaient que la
meilleure représentation du XIXesiècle se
trouvait non chez les premiers sociologues, mais chez Balzac qui révélait la
vérité sur le monde qui l’entourait. Aujourd’hui encore, si une jeune personne
me demande à quoi ressemblait la vie sous la dictature soviétique, je lui
dirais : “Lis Vie et destin de Vassili Grossman !” Or c’est un roman, non un ouvrage de sciences
humaines. Stendhal, de son côté, affirmait qu’il n’y a de “vérité un
peu détaillée” sur le genre humain
que dans les romans. Cette “vérité détaillée” reste par excellence le propre de
la littérature. Sauf, bien sûr, quand la littérature est “en péril”,
c’est-à-dire quand elle se limite à n’être plus qu’un jeu avec ses conventions,
ou à décrire de façon extrêmement restreinte l’expérience personnelle de
l’auteur. Dans ces cas-là, la littérature perd son statut privilégié dans la
quête de connaissance du monde ; sinon, elle reste une source inépuisable et
irremplaçable. En anglais existe un terme qui désigne bien ce processus
spécifique de connaissance : c’est “insight”, qui évoque la pénétration, la compréhension
de l’intérieur de l’objet étudié. C’est ce que tâchent de faire les bons
écrivains. Les sciences humaines actuelles restent redevables de la
littérature. Les récits sur Œdipe ou sur Antigone ont une telle force qu’ils
continuent d’inspirer leur pratique. Bien entendu, les visions du monde portées
par la littérature ne forment pas des propositions logiquement construites,
susceptibles d’être vérifiées et testées. Il faut donc les interpréter pour
pouvoir dire : “Voilà ce que Shakespeare nous apprend du comportement
de l’être humain dans telle ou telle circonstance.” La littérature a besoin d’intermédiaires. Cela
rend plus difficile l’utilisation des connaissances auxquelles elle accède.
Mais nous les saisissons intuitivement, nous savons les sentir. C’est
d’ailleurs la grande raison qui nous pousse vers la lecture. S’il n’y avait pas
cette perspective d’une meilleure connaissance du monde, pourquoi nous
fatiguerions-nous à lire les aventures de gens que nous ne connaissons pas,
pire, qui n’existent pas ?
Propos recueillis par
Héloïse Lhérété et Catherine Halpern
Qu'est-ce que l'humanisme ?
L’humanisme désigne un mouvement philosophique qui s’est
développé en Europe
à partir de la Renaissance. Aujourd’hui, cette notion s’est galvaudée : elle ne désigne souvent qu’une forme de philanthropie un peu naïve. Tzvetan Todorov refuse cette caricature. L’humanisme qu’il défend n’a rien d’une vision idyllique. Il s’agit d’une prise de position forte, historiquement construite, sous-tendue par trois grands choix anthropologiques et moraux :
à partir de la Renaissance. Aujourd’hui, cette notion s’est galvaudée : elle ne désigne souvent qu’une forme de philanthropie un peu naïve. Tzvetan Todorov refuse cette caricature. L’humanisme qu’il défend n’a rien d’une vision idyllique. Il s’agit d’une prise de position forte, historiquement construite, sous-tendue par trois grands choix anthropologiques et moraux :
• L’universalisme. Tous les êtres humains appartiennent à une seule et même
espèce. Ils sont pourvus de la même dignité.
• La liberté humaine. Le déterminisme – biologique, historique,
social, psychique – n’est jamais intégral. L’homme n’est pas le pur jouet de
forces qui le dépassent et qui décident de son destin. Il a toujours le moyen « d’acquiescer
ou de résister » (Jean-Jacques
Rousseau).
• L’être humain comme valeur suprême. Le bien-être des individus humains est le but
ultime de la vie sociale. De ce point de vue, la pensée humaniste se distingue
des projets utopistes, qui visent un avenir radieux. Elle s’oppose aussi aux
doctrines religieuses, pour lesquelles toute action humaine doit être orientée
vers le service adressé à Dieu.
Héloïse Lhérété
Tzvetan Todorov
Tzvetan Todorov est né en 1939 à Sofia, en Bulgarie. Il a obtenu
en 1963 un visa pour un séjour d’un an en France, où il s’est définitivement
installé. Proche de Roland Barthes et de Gérard Genette, il a été l’un des
pionniers de la critique textuelle. A partir des années 1980, T. Todorov se
tourne de plus en plus vers des problèmes historiques et moraux. Ses centres
d’intérêt se déplacent vers le totalitarisme (Face à l’extrême, 1991, et Mémoire du bien. Tentation du mal, 2000), le rapport à autrui (La Vie commune, 1995), les relations interculturelles (La Conquête de
l’Amérique, 1982, et La Peur des
barbares, 2008), l’histoire de
l’humanisme et des Lumières (Nous et les autres, 1989, et Le Jardin imparfait, 1998). Son dernier livre, La Signature
humaine. Essais 1983-2008 (Seuil, 2009), rassemble les études les plus importantes qu’il a
écrites au cours de ces années.
T. Todorov a reçu, en
2008, le prix Prince des Asturies pour l’ensemble de son œuvre. Ses livres sont
traduits dans plus de vingt-cinq langues.
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