Emmanuel Levinas, le philosophe de l’éthique et du caractère sacré de la vie
« C’est parce qu’il y a vigilance avant l’éveil que le cogito est possible, de sorte que l’éthique est avant l’ontologie. » ("Altérité et transcendance", 1995).
Ce Noël et le début de l’année prochaine, est célébré le philosophe français Emmanuel Levinas. En effet, il est mort il y a vingt ans, le 25 décembre 1995, à Paris, et né il y a 110 ans, le 12 janvier 1906, à Kaunas, qui, à l’époque, était dans l’Empire russe. D’origine juive et lituanienne, Emmanuel Levinas fut très influencé par la phénoménologie d’Edmund Husserl et l’ontologie de Martin Heidegger. Ses travaux ont aussi beaucoup porté sur la théologie et l’étude de la Torah.
Un émigré lituanien
Dans son enfance, Emmanuel Levinas a reçu une éducation russe et hébraïque, mais la Première Guerre mondiale a conduit la famille du futur philosophe à quitter la Lituanie et à s’exiler à Kharkov, en Ukraine (encore l’Empire russe à l’époque) de 1914 à 1920. Emmanuel Levinas étudia ensuite la philosophie à Strasbourg de 1923 à 1927, où il sympathisa avec le philosophe et romancier Maurice Blanchot (1907-2003) : « Emmanuel Levinas, le seul ami, ah, ami lointain, que je tutoie et qui me tutoie : cela est arrivé, non pas parce que nous étions jeunes, mais par une décision délibérée, un pacte auquel j’espère ne jamais manquer. » (Maurice Blanchot à qui Emmanuel Levinas conseilla en 1927 de lire "Être et Temps" de Martin Heidegger : « C’est un véritable choc intellectuel que ce livre provoqua en moi. Un événement de première grandeur venait de se produire : impossible de l’atténuer. »).
En 1928 et en 1929, Emmanuel Levinas séjourna à Freiburg pour suivre les cours d’Edmund Husserl (1859-1938) puis de son "successeur" Martin Heidegger (1889-1976). Hannah Arendt, née la même année qu’Emmanuel Levinas, l’avait précédé de quelques années pour les cours de Husserl et de Heidegger (dont elle fut amoureuse). Emmanuel Levinas a soutenu sa thèse de doctorat en 1930 sur la "Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl". Il retourna ensuite en France, s’installa à Paris où il fonda sa famille (trois enfants, dont le compositeur Michaël Levinas) et fréquenta notamment les philosophes Léon Brunschvicg (1869-1944) et Gabriel Marcel (1889-1973). Il a obtenu la nationalité française en 1931 et fut mobilisé en 1939, arrêté en 1940 par les Allemands à Rennes et détenu près de Hanovre pendant toute la guerre, temps pendant lequel il rédigea son premier grand essai, tandis que sa femme et sa fille furent cachées grâce à Maurice Blanchot dans une institution catholique. Le reste de sa famille restée en Lituanie a été, elle, assassinée par les nazis dans les camps d’extermination.
Un directeur d’école très exigeant et intellectuellement rayonnant
Après la Seconde Guerre mondiale, il publia "De l’existence à l’existant" (en 1947) et fréquenta les philosophes Jean Wahl (1888-1974) et Chouchani (mort en 1966).
Très actif au sein de l’Alliance israélite universelle depuis 1933 (cofondée en 1860 par Adolphe Crémieux et présidée de 1943 à 1976 par René Cassin), commentateur amateur du Talmud, Emmanuel Levinas dirigea l’École normale israélite orientale qui était située rue d’Auteuil à Paris pendant trente-quatre ans, de 1946 à 1981, et il y habitait, tellement exigeant qu’après mai 1968, lorsqu’il accorda quand même la permission de vingt-deux heures, le samedi soir, à ses élèves internes, il les attendait de pieds fermes à l’entrée de l’école et n’allait se coucher qu’une fois tout le monde rentré.
Cet internat mixte qui sélectionne depuis 1865 les meilleurs élèves pour les former au métier d’instituteur « était le cadre idéal pour mettre en application ses principes éthiques et pédagogiques » selon Thérèse Goldstein, l’assistante du philosophe à partir de 1953, qui a ajouté : « Pendant plus de quinze ans, il a été le seul professeur de philosophie des classes de terminales. Il mettait tant de cœur à vouloir transmettre et encourager les élèves dans l’effort et dans le travail, qu’il sortait de chaque cours le visage inondé de sueur. Il régnait dans cette maison une atmosphère d’étude, une soif d’apprendre et de volonté de s’épanouir. (…) Ceux qui ont eu la chance de l’entendre savent qu’il ponctuait ses phrases par des "n’est-ce pas" interrogatifs. Tout Levinas est dans ce "n’est-ce pas". La transmission et son souci de savoir s’il avait été compris ! » (2006). L’exigence était aussi dans la gestion quotidienne de l’école puisqu’il répondait à toutes les lettres ou circulaires, même les plus insignifiantes, et avant le recrutement de son assistante, il faisait lui-même les tâches administratives au point de rédiger de sa main les bulletins de paie.
Dans son enfance, Emmanuel Levinas a reçu une éducation russe et hébraïque, mais la Première Guerre mondiale a conduit la famille du futur philosophe à quitter la Lituanie et à s’exiler à Kharkov, en Ukraine (encore l’Empire russe à l’époque) de 1914 à 1920. Emmanuel Levinas étudia ensuite la philosophie à Strasbourg de 1923 à 1927, où il sympathisa avec le philosophe et romancier Maurice Blanchot (1907-2003) : « Emmanuel Levinas, le seul ami, ah, ami lointain, que je tutoie et qui me tutoie : cela est arrivé, non pas parce que nous étions jeunes, mais par une décision délibérée, un pacte auquel j’espère ne jamais manquer. » (Maurice Blanchot à qui Emmanuel Levinas conseilla en 1927 de lire "Être et Temps" de Martin Heidegger : « C’est un véritable choc intellectuel que ce livre provoqua en moi. Un événement de première grandeur venait de se produire : impossible de l’atténuer. »).
En 1928 et en 1929, Emmanuel Levinas séjourna à Freiburg pour suivre les cours d’Edmund Husserl (1859-1938) puis de son "successeur" Martin Heidegger (1889-1976). Hannah Arendt, née la même année qu’Emmanuel Levinas, l’avait précédé de quelques années pour les cours de Husserl et de Heidegger (dont elle fut amoureuse). Emmanuel Levinas a soutenu sa thèse de doctorat en 1930 sur la "Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl". Il retourna ensuite en France, s’installa à Paris où il fonda sa famille (trois enfants, dont le compositeur Michaël Levinas) et fréquenta notamment les philosophes Léon Brunschvicg (1869-1944) et Gabriel Marcel (1889-1973). Il a obtenu la nationalité française en 1931 et fut mobilisé en 1939, arrêté en 1940 par les Allemands à Rennes et détenu près de Hanovre pendant toute la guerre, temps pendant lequel il rédigea son premier grand essai, tandis que sa femme et sa fille furent cachées grâce à Maurice Blanchot dans une institution catholique. Le reste de sa famille restée en Lituanie a été, elle, assassinée par les nazis dans les camps d’extermination.
Un directeur d’école très exigeant et intellectuellement rayonnant
Après la Seconde Guerre mondiale, il publia "De l’existence à l’existant" (en 1947) et fréquenta les philosophes Jean Wahl (1888-1974) et Chouchani (mort en 1966).
Très actif au sein de l’Alliance israélite universelle depuis 1933 (cofondée en 1860 par Adolphe Crémieux et présidée de 1943 à 1976 par René Cassin), commentateur amateur du Talmud, Emmanuel Levinas dirigea l’École normale israélite orientale qui était située rue d’Auteuil à Paris pendant trente-quatre ans, de 1946 à 1981, et il y habitait, tellement exigeant qu’après mai 1968, lorsqu’il accorda quand même la permission de vingt-deux heures, le samedi soir, à ses élèves internes, il les attendait de pieds fermes à l’entrée de l’école et n’allait se coucher qu’une fois tout le monde rentré.
Cet internat mixte qui sélectionne depuis 1865 les meilleurs élèves pour les former au métier d’instituteur « était le cadre idéal pour mettre en application ses principes éthiques et pédagogiques » selon Thérèse Goldstein, l’assistante du philosophe à partir de 1953, qui a ajouté : « Pendant plus de quinze ans, il a été le seul professeur de philosophie des classes de terminales. Il mettait tant de cœur à vouloir transmettre et encourager les élèves dans l’effort et dans le travail, qu’il sortait de chaque cours le visage inondé de sueur. Il régnait dans cette maison une atmosphère d’étude, une soif d’apprendre et de volonté de s’épanouir. (…) Ceux qui ont eu la chance de l’entendre savent qu’il ponctuait ses phrases par des "n’est-ce pas" interrogatifs. Tout Levinas est dans ce "n’est-ce pas". La transmission et son souci de savoir s’il avait été compris ! » (2006). L’exigence était aussi dans la gestion quotidienne de l’école puisqu’il répondait à toutes les lettres ou circulaires, même les plus insignifiantes, et avant le recrutement de son assistante, il faisait lui-même les tâches administratives au point de rédiger de sa main les bulletins de paie.
Témoignant sur le philosophe qu’elle a côtoyé pendant des dizaines d'années, Thérèse Goldstein a expliqué que l’épouse d’Emmanuel Levinas « a consacré sa vie à créer autour de son mari un havre de sérénité propre à lui laisser le maximum de temps pour son travail, le déchargeant de bien des tâches d’intendance » et a décrit la rigueur dans l’expression de ses pensées : « Si on avait parfois du mal à le comprendre, c’est que sa pensée était plus rapide que son élocution. Son écriture était aussi nerveuse, souvent difficile à déchiffrer. Si vous aviez vu sur quels brouillons ont été écrits "Totalité et Infini" ou "Difficile Liberté" ! Il s’agissait aussi bien de dos d’enveloppes, de bas de bons de commande ou du moindre morceau de papier vierge. (…) Il écrivait beaucoup, corrigeait énormément, biffait, découpait, faisait des collages. Il n’arrêtait que lorsque le texte traduisait sa pensée avec exactitude. Heureusement. ».
La thèse de doctorat d'Emmanuel Levinas, "Totalité et Infini", publiée en 1961 l’amena à suivre une carrière universitaire brève mais prestigieuse, professeur à l’Université de Poitiers de 1964 à 1967, puis à Paris-Nanterre de 1967 à 1973, enfin à la Sorbonne de 1973 jusqu’à sa retraite en 1976. Il donna aussi des cours à l’Université de Fribourg (en Suisse).
La pensée d’Emmanuel Levinas
Ce n’est pas en quelques phrases que je résumerai correctement la pensée d’Emmanuel Levinas. Je vais donc très modestement (très succinctement et forcément très mal) présenter son œuvre. C’est lui qui a introduit la phénoménologie en France (notamment par sa thèse de doctorat de 1930 et par sa traduction en 1931 en français de "Méditations cartésiennes" issu de deux conférences de Husserl prononcées en allemand à la Sorbonne les 23 et 25 février 1929) et qui a placé l’éthique comme un fondement majeur et préalable de la pensée philosophique, par ses multiples influences, humanistes, juives, chrétiennes, mais aussi platoniciennes.
Les cinq livres philosophiques principaux de Levinas sont "Phèdre" de Platon, "Critique de la raison pure" de Kant, "Phénoménologie de l’esprit" de Hegel, "Essai sur les données immédiates de la conscience" de Bergson et "Être et Temps" de Heidegger.
Tout part de la relation à autrui. L’autre est altérité et cette altérité conduit à la transcendance du bien. L’une des marques de l’altérité est le visage que Levinas considère comme une expérience de la transcendance. Le visage d’autrui est une conscience et un regard qui ébranlent ma capacité à influer moi-même sur le monde.
Autrui est insaisissable mais aussi vulnérable. Si je tue l’autre, je ne le domine pas mais je l’anéantis. Le meurtre est ainsi, selon Levinas, une expérience de l’altérité : je ne peux pas m’approprier d’autrui mais je peux en faire l’objet d’une négation totale.
D’où la résistance éthique : la relation éthique s’instaure dans l’expérience de la relation à autrui (et pas dans l’universalité de la loi). La résistance d’autrui, pourtant vulnérable, face à une tentative de négation totale, autrement dit le meurtre, c’est l’infini de sa transcendance, autrement dit, le caractère sacré de la vie humaine : "Tu ne tueras point !".
Levinas définit ainsi la relation éthique comme un nouvel humanisme qui ne vient pas d’une loi abstraite mais d’une relation vécue, vivante et concrète, celle de ma relation à autrui qui est un être unique et précieux et qui m’oblige à son égard.
C’est cette expérience de la responsabilité pour les autres, en ce qu’ils sont uniques et transcendants, qui fonde cet humanisme. Cette responsabilité peut aussi être illustrée par la phrase de Dostoïevski, auteur qu’il avait lu enfant à Kharkov : « Chacun est responsable de tout devant tous, et moi plus que tous les autres. » ("Les Frères Karamazov").
La thèse de doctorat d'Emmanuel Levinas, "Totalité et Infini", publiée en 1961 l’amena à suivre une carrière universitaire brève mais prestigieuse, professeur à l’Université de Poitiers de 1964 à 1967, puis à Paris-Nanterre de 1967 à 1973, enfin à la Sorbonne de 1973 jusqu’à sa retraite en 1976. Il donna aussi des cours à l’Université de Fribourg (en Suisse).
La pensée d’Emmanuel Levinas
Ce n’est pas en quelques phrases que je résumerai correctement la pensée d’Emmanuel Levinas. Je vais donc très modestement (très succinctement et forcément très mal) présenter son œuvre. C’est lui qui a introduit la phénoménologie en France (notamment par sa thèse de doctorat de 1930 et par sa traduction en 1931 en français de "Méditations cartésiennes" issu de deux conférences de Husserl prononcées en allemand à la Sorbonne les 23 et 25 février 1929) et qui a placé l’éthique comme un fondement majeur et préalable de la pensée philosophique, par ses multiples influences, humanistes, juives, chrétiennes, mais aussi platoniciennes.
Les cinq livres philosophiques principaux de Levinas sont "Phèdre" de Platon, "Critique de la raison pure" de Kant, "Phénoménologie de l’esprit" de Hegel, "Essai sur les données immédiates de la conscience" de Bergson et "Être et Temps" de Heidegger.
Tout part de la relation à autrui. L’autre est altérité et cette altérité conduit à la transcendance du bien. L’une des marques de l’altérité est le visage que Levinas considère comme une expérience de la transcendance. Le visage d’autrui est une conscience et un regard qui ébranlent ma capacité à influer moi-même sur le monde.
Autrui est insaisissable mais aussi vulnérable. Si je tue l’autre, je ne le domine pas mais je l’anéantis. Le meurtre est ainsi, selon Levinas, une expérience de l’altérité : je ne peux pas m’approprier d’autrui mais je peux en faire l’objet d’une négation totale.
D’où la résistance éthique : la relation éthique s’instaure dans l’expérience de la relation à autrui (et pas dans l’universalité de la loi). La résistance d’autrui, pourtant vulnérable, face à une tentative de négation totale, autrement dit le meurtre, c’est l’infini de sa transcendance, autrement dit, le caractère sacré de la vie humaine : "Tu ne tueras point !".
Levinas définit ainsi la relation éthique comme un nouvel humanisme qui ne vient pas d’une loi abstraite mais d’une relation vécue, vivante et concrète, celle de ma relation à autrui qui est un être unique et précieux et qui m’oblige à son égard.
C’est cette expérience de la responsabilité pour les autres, en ce qu’ils sont uniques et transcendants, qui fonde cet humanisme. Cette responsabilité peut aussi être illustrée par la phrase de Dostoïevski, auteur qu’il avait lu enfant à Kharkov : « Chacun est responsable de tout devant tous, et moi plus que tous les autres. » ("Les Frères Karamazov").
L’œuvre de Levinas a donc été peu suivie dans les années 1950 et 1960, dominées par le communisme triomphant, mais a été lue avec plus d’attention à partir des années 1970, avec l’essor de l’engagement humanitaire (des "nouveaux philosophes" notamment), puis, à la fin des années 1980, avec l’effondrement du bloc communiste. Le respect de la personne évoqué par Levinas a entraîné deux sortes d’éthique, le respect de la vie humaine et des personnes avec le combat pour la démocratie et les libertés, et, aussi, la mise en place des chartres de déontologie dans beaucoup de professions.
Parmi les nombreux textes d’Emmanuel Levinas, dont certains ne sont toujours pas publiés en raison d’une querelle entre héritiers, ses trois livres majeurs sont "Totalité et Infini : essai sur l’extériorité" (1961), "Humanisme de l’autre homme" (1972) et "Éthique et Infini" (1982). Et on peut rajouter le dernier livre publié de son vivant, recueil de nombreux textes : "Altérité et Transcendance" (1995).
Quelques extraits
Je termine par quelques extraits de livres et articles d’Emmanuel Levinas qui apportent un éclairage intéressant sur sa pensée. Le premier extrait montre en particulier sa grande clairvoyance à propos de l’idéologie nazie, et cela quelques mois seulement après l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Il avait compris que les nazis allaient vouloir envahir le monde au nom de la supériorité d’un groupe humain et qu’ils allaient dénier l’humanité chez beaucoup …d’être humains déportés et massacrés.
Le nazisme : « La philosophie d’Hitler est primaire. Mais les puissances primitives qui s’y consument font éclater la phraséologie misérable sous la poussée d’une forme élémentaire. Elles éveillent la nostalgie secrète de l’âme allemande. Plus qu’une contagion ou une folie, l’hitlérisme est un réveil des sentiments élémentaires. (…) La philosophie de l’hitlérisme déborde ainsi la philosophie des hitlériens. Elle met en question les principes mêmes d’une civilisation. Le conflit ne se joue pas seulement entre le libéralisme et l’hitlérisme. Le christianisme lui-même est menacé malgré les ménagements ou Concordats dont profitèrent les Églises chrétiennes à l’avènement du régime. (…) Le biologique, avec tout ce qu’il comporte de fatalité, devient plus qu’un objet de la vie spirituelle, il en devient le cœur. Les mystérieuses voix du sang, les appels de l’hérédité et du passé auxquels le corps sert d’énigmatique véhicule perdent leur nature des problèmes soumis à la solution d’un Moi souverainement libre. Le Moi n’apporte pour les résoudre que les inconnues mêmes de ces problèmes. Il en est constitué. L’essence de l’homme n’est plus dans la liberté, mais dans une espèce d’enchaînement. (…) L’assimilation des esprits perd la grandeur du triomphe de l’esprit sur le corps. Elle devient œuvre des faussaires. Une société à base consanguine découle immédiatement de cette concrétisation de l’esprit. Et alors, si la race n’existe pas, il faut l’inventer. Cet idéal de l’homme et de la société s’accompagne d’un nouvel idéal de pensée et de vérité. (…) La volonté de puissance de Nietzsche que l’Allemagne moderne retrouve et glorifie n’est pas seulement un nouvel idéal, c’est un idéal qui apporte en même temps sa forme propre d’universalisation : la guerre, la conquête. Mais nous rejoignons des vérités bien connues. Nous avons essayé de les rattacher à un principe fondamental. Peut-être avons-nous réussi à montrer que le racisme ne s’oppose pas seulement à tel ou tel point de la culture chrétienne et libérale. Ce n’est pas tel ou tel dogme de démocratie, de parlementarisme, de régime dictatorial ou de politique religieuse qui est en cause. C’est l’humanité même de l’homme. » ("Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme", dans la revue "Esprit" n°26 du 1er novembre 1934, pp. 199-208).
Exister : « Je suis tout seul. C’est donc l’être en moi, le fait que j’existe, mon exister qui constitue l’élément absolument intransitif, quelque chose sans intentionnalité, sans rapport. On peut tout échanger entre êtres sauf l’exister. » ("Le Temps et l’Autre", 1980).
L’altérité, relation non réciproque : « Au sein de la relation avec l’autre qui caractérise notre vie sociale, l’altérité apparaît comme relation non réciproque, c’est-à-dire comme tranchant sur la contemporanéité. (…) On peut dire que l’espace intersubjectif n’est pas symétrique. L’extériorité de l’autre n’est pas simplement due à l’espace qui sépare ce qui par le concept demeure identique, ni à une différence quelconque selon le concept qui se manifesterait par l’extériorité spatiale. La relation de l’altérité n’est ni spatiale ni conceptuelle. » ("Le Temps et l’Autre", 1980).
Parmi les nombreux textes d’Emmanuel Levinas, dont certains ne sont toujours pas publiés en raison d’une querelle entre héritiers, ses trois livres majeurs sont "Totalité et Infini : essai sur l’extériorité" (1961), "Humanisme de l’autre homme" (1972) et "Éthique et Infini" (1982). Et on peut rajouter le dernier livre publié de son vivant, recueil de nombreux textes : "Altérité et Transcendance" (1995).
Quelques extraits
Je termine par quelques extraits de livres et articles d’Emmanuel Levinas qui apportent un éclairage intéressant sur sa pensée. Le premier extrait montre en particulier sa grande clairvoyance à propos de l’idéologie nazie, et cela quelques mois seulement après l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Il avait compris que les nazis allaient vouloir envahir le monde au nom de la supériorité d’un groupe humain et qu’ils allaient dénier l’humanité chez beaucoup …d’être humains déportés et massacrés.
Le nazisme : « La philosophie d’Hitler est primaire. Mais les puissances primitives qui s’y consument font éclater la phraséologie misérable sous la poussée d’une forme élémentaire. Elles éveillent la nostalgie secrète de l’âme allemande. Plus qu’une contagion ou une folie, l’hitlérisme est un réveil des sentiments élémentaires. (…) La philosophie de l’hitlérisme déborde ainsi la philosophie des hitlériens. Elle met en question les principes mêmes d’une civilisation. Le conflit ne se joue pas seulement entre le libéralisme et l’hitlérisme. Le christianisme lui-même est menacé malgré les ménagements ou Concordats dont profitèrent les Églises chrétiennes à l’avènement du régime. (…) Le biologique, avec tout ce qu’il comporte de fatalité, devient plus qu’un objet de la vie spirituelle, il en devient le cœur. Les mystérieuses voix du sang, les appels de l’hérédité et du passé auxquels le corps sert d’énigmatique véhicule perdent leur nature des problèmes soumis à la solution d’un Moi souverainement libre. Le Moi n’apporte pour les résoudre que les inconnues mêmes de ces problèmes. Il en est constitué. L’essence de l’homme n’est plus dans la liberté, mais dans une espèce d’enchaînement. (…) L’assimilation des esprits perd la grandeur du triomphe de l’esprit sur le corps. Elle devient œuvre des faussaires. Une société à base consanguine découle immédiatement de cette concrétisation de l’esprit. Et alors, si la race n’existe pas, il faut l’inventer. Cet idéal de l’homme et de la société s’accompagne d’un nouvel idéal de pensée et de vérité. (…) La volonté de puissance de Nietzsche que l’Allemagne moderne retrouve et glorifie n’est pas seulement un nouvel idéal, c’est un idéal qui apporte en même temps sa forme propre d’universalisation : la guerre, la conquête. Mais nous rejoignons des vérités bien connues. Nous avons essayé de les rattacher à un principe fondamental. Peut-être avons-nous réussi à montrer que le racisme ne s’oppose pas seulement à tel ou tel point de la culture chrétienne et libérale. Ce n’est pas tel ou tel dogme de démocratie, de parlementarisme, de régime dictatorial ou de politique religieuse qui est en cause. C’est l’humanité même de l’homme. » ("Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme", dans la revue "Esprit" n°26 du 1er novembre 1934, pp. 199-208).
Exister : « Je suis tout seul. C’est donc l’être en moi, le fait que j’existe, mon exister qui constitue l’élément absolument intransitif, quelque chose sans intentionnalité, sans rapport. On peut tout échanger entre êtres sauf l’exister. » ("Le Temps et l’Autre", 1980).
L’altérité, relation non réciproque : « Au sein de la relation avec l’autre qui caractérise notre vie sociale, l’altérité apparaît comme relation non réciproque, c’est-à-dire comme tranchant sur la contemporanéité. (…) On peut dire que l’espace intersubjectif n’est pas symétrique. L’extériorité de l’autre n’est pas simplement due à l’espace qui sépare ce qui par le concept demeure identique, ni à une différence quelconque selon le concept qui se manifesterait par l’extériorité spatiale. La relation de l’altérité n’est ni spatiale ni conceptuelle. » ("Le Temps et l’Autre", 1980).
L’altérité, son mystère : « C’est l’altérité qui fait toute [la] puissance [de l’autre]. Son mystère constitue son altérité. (…) En posant l’altérité d’autrui comme le mystère défini lui-même par la pudeur, je ne la pose pas comme liberté identique à la mienne et aux prises avec la mienne, je ne pose pas un autre existant en face de moi, je pose l’altérité. » ("Le Temps et l’Autre", 1980).
L’amour : « Ce qu’on présente comme l’échec de la communication dans l’amour, constitue précisément la positivité de la relation ; cette absence de l’autre est précisément sa présence comme autre. L’autre, c‘est le prochain, mais la proximité n’est pas une dégradation ou une étape de la fusion. Dans la réciprocité des rapports, caractéristique de la civilisation, l’asymétrie de la relation intersubjective s’oublie. La réciprocité de la civilisation, le règne des fins où chacun est à la fois fin et moyen, personne et personnel, est un nivellement de l’idée de fraternité, qui est un aboutissement et non point un point de départ et qui renvoie à toutes les implications de l’Eros. » ("De l’existence à l’existant", 1978).
La lassitude : « Au lieu de s’oublier dans la légèreté essentielle du sourire, où l’existence se fait innocemment, où dans sa plénitude même, elle flotte comme privée de poids, et où, gratuit et gracieux, son épanouissement est comme un évanouissement, l’existence dans la lassitude est comme un rappel d’un engagement à exister, de tout le sérieux, de toute la dureté d’un contrat irréalisable. Il faut faire quelque chose, il faut entreprendre et aspirer. » ("De l’existence à l’existant", 1978).
La responsabilité d’autrui : « La relation intersubjective est une relation non-symétrique. En ce sens, je suis responsable d’autrui sans attendre de réciproque, dût-il m’en coûter la vie. La réciproque, c’est son affaire. C’est précisément dans la mesure où entre autrui et moi, la relation n’est pas réciproque, que je suis sujétion à autrui (…). Le moi a toujours une responsabilité de plus que tous les autres. » ("Éthique et Infini", 1982).
Le face-à-face des humains : « L’expérience irréductible et ultime de la relation me paraît être ailleurs : non pas dans la synthèse, mais dans le face-à-face des humains, dans la socialité, en sa signification morale. Mais il faut comprendre que la moralité ne vient pas comme une couche secondaire, au-dessus d’une réflexion abstraite sur la totalité et ses dangers ; la moralité a une portée indépendante et préliminaire. La philosophie première est une éthique. Le non-synthétisable par excellence, c’est certainement la relation entre les hommes. (…) Dans la relation interpersonnelle, il ne s’agit pas de penser ensemble moi et l’autre, mais d’être en face. La véritable union ou le véritable ensemble n’est pas un ensemble de synthèse, mais un ensemble de face-à-face. » ("Éthique et Infini", 1982).
L’éthique et les relations sociales : « Il ne faut pas déduire (…) une sous-estimation quelconque de la raison et de l’aspiration de la raison à l’universalité. Seulement, je tente de déduire la nécessité d’un social relationnel des exigences mêmes de l’intersubjectif tel que je le décris. Il est extrêmement important de savoir si la société, au sens commun du terme, est le résultat d’une limitation du principe que l’homme est un loup pour l’homme, ou si, au contraire, elle résulte de la limitation du principe que l’homme est pour l’homme. Le social, avec ses institutions, ses formes universelles, ses lois, provient-il de ce qu’on a limité les conséquences de la guerre entre les hommes, ou de ce qu’on a limité l’infini qui s’ouvre dans la relation éthique de l’homme à l’homme ? » ("Éthique et Infini", 1982).
L’éthique et la politique : « La politique doit pouvoir toujours être contrôlée et critiquée à partir de l’éthique. Cette seconde forme de socialité rendrait justice à ce secret qu’est pour chacun sa vie, secret qui ne tient pas à une clôture qui isolerait quelque domaine rigoureusement privé d’une intériorité fermée, mais secret qui tient à la responsabilité pour autrui, qui, dans son événement éthique, est incessible, à laquelle on ne se dérobe pas et qui, ainsi, est principe d’individuation absolue. » ("Éthique et Infini", 1982).
L’humanisme des superbes : « Écrites par les vainqueurs, méditées sur les victoires, notre histoire occidentale et notre philosophie de l’histoire annoncent la réalisation d’un idéal humaniste tout en ignorant les vaincus, les victimes et les persécutés, comme s’ils n’avaient aucune signification. Elles dénoncent la violence par laquelle notre histoire s’est cependant accomplie sans être gênée par cette contradiction. Humanisme des superbes ! La dénonciation de la violence risque de se tourner en insurrection d’une violence et d’une superbe, d’une aliénation, d’un stalinisme. La guerre contre la guerre perpétue la guerre en lui ôtant la mauvaise conscience. » ("Les Nouveaux Cahiers" n°31, hiver 1972-1973, p. 22).
L’éthique du visage : « Je pense plutôt que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas. » ("Éthique et Infini", 1982).
La nudité du visage : « La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer. (…) Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins dont le sens consiste à dire : "Tu ne tueras point". Le meurtre, il est vrai, est un fait banal : on peut tuer autrui ; l’exigence éthique n’est pas une nécessité ontologique. L’interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même si l’autorité de l’interdit se maintient dans la mauvaise conscience du mal accompli, malignité du mal. » ("Éthique et Infini", 1982).
Le dire plus important que le dit : « C’est le discours, et, plus exactement, la réponse ou la responsabilité, qui est cette relation authentique. (…) Il est difficile de se taire en présence de quelqu’un ; cette difficulté a son fondement ultime dans cette signification propre du dire, quel que soit le dit. Il faut parler de quelque chose, de la pluie et du beau temps, peu importe, mais parler, répondre à lui et déjà répondre de lui. » ("Éthique et Infini", 1982).
Levinas, philosophe essentiel du XXe siècle pour éclairer le XXIe siècle
Comme je viens de l’expliquer, Emmanuel Levinas a défriché tout un terrain philosophique jusque là inexploré, celui de l’éthique et de l’altérité. Reprenant le judaïsme et le christianisme, mais aussi le platonisme et les enseignements de Husserl et Heidegger, Levinas insiste sur la grande responsabilité d’être en relation à autrui, figure de l’altérité qui est en même temps celle de la transcendance et de l’infini, sur le caractère sacré de chaque vie humaine. Ce n’est pas un hasard si la principale association dans laquelle il s’est beaucoup impliqué a été longtemps présidée par celui qui fut Prix Nobel de la Paix et fondateur de la Cour européenne des droits de l’Homme.
La lassitude : « Au lieu de s’oublier dans la légèreté essentielle du sourire, où l’existence se fait innocemment, où dans sa plénitude même, elle flotte comme privée de poids, et où, gratuit et gracieux, son épanouissement est comme un évanouissement, l’existence dans la lassitude est comme un rappel d’un engagement à exister, de tout le sérieux, de toute la dureté d’un contrat irréalisable. Il faut faire quelque chose, il faut entreprendre et aspirer. » ("De l’existence à l’existant", 1978).
La responsabilité d’autrui : « La relation intersubjective est une relation non-symétrique. En ce sens, je suis responsable d’autrui sans attendre de réciproque, dût-il m’en coûter la vie. La réciproque, c’est son affaire. C’est précisément dans la mesure où entre autrui et moi, la relation n’est pas réciproque, que je suis sujétion à autrui (…). Le moi a toujours une responsabilité de plus que tous les autres. » ("Éthique et Infini", 1982).
Le face-à-face des humains : « L’expérience irréductible et ultime de la relation me paraît être ailleurs : non pas dans la synthèse, mais dans le face-à-face des humains, dans la socialité, en sa signification morale. Mais il faut comprendre que la moralité ne vient pas comme une couche secondaire, au-dessus d’une réflexion abstraite sur la totalité et ses dangers ; la moralité a une portée indépendante et préliminaire. La philosophie première est une éthique. Le non-synthétisable par excellence, c’est certainement la relation entre les hommes. (…) Dans la relation interpersonnelle, il ne s’agit pas de penser ensemble moi et l’autre, mais d’être en face. La véritable union ou le véritable ensemble n’est pas un ensemble de synthèse, mais un ensemble de face-à-face. » ("Éthique et Infini", 1982).
L’éthique et les relations sociales : « Il ne faut pas déduire (…) une sous-estimation quelconque de la raison et de l’aspiration de la raison à l’universalité. Seulement, je tente de déduire la nécessité d’un social relationnel des exigences mêmes de l’intersubjectif tel que je le décris. Il est extrêmement important de savoir si la société, au sens commun du terme, est le résultat d’une limitation du principe que l’homme est un loup pour l’homme, ou si, au contraire, elle résulte de la limitation du principe que l’homme est pour l’homme. Le social, avec ses institutions, ses formes universelles, ses lois, provient-il de ce qu’on a limité les conséquences de la guerre entre les hommes, ou de ce qu’on a limité l’infini qui s’ouvre dans la relation éthique de l’homme à l’homme ? » ("Éthique et Infini", 1982).
L’éthique et la politique : « La politique doit pouvoir toujours être contrôlée et critiquée à partir de l’éthique. Cette seconde forme de socialité rendrait justice à ce secret qu’est pour chacun sa vie, secret qui ne tient pas à une clôture qui isolerait quelque domaine rigoureusement privé d’une intériorité fermée, mais secret qui tient à la responsabilité pour autrui, qui, dans son événement éthique, est incessible, à laquelle on ne se dérobe pas et qui, ainsi, est principe d’individuation absolue. » ("Éthique et Infini", 1982).
L’humanisme des superbes : « Écrites par les vainqueurs, méditées sur les victoires, notre histoire occidentale et notre philosophie de l’histoire annoncent la réalisation d’un idéal humaniste tout en ignorant les vaincus, les victimes et les persécutés, comme s’ils n’avaient aucune signification. Elles dénoncent la violence par laquelle notre histoire s’est cependant accomplie sans être gênée par cette contradiction. Humanisme des superbes ! La dénonciation de la violence risque de se tourner en insurrection d’une violence et d’une superbe, d’une aliénation, d’un stalinisme. La guerre contre la guerre perpétue la guerre en lui ôtant la mauvaise conscience. » ("Les Nouveaux Cahiers" n°31, hiver 1972-1973, p. 22).
L’éthique du visage : « Je pense plutôt que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas. » ("Éthique et Infini", 1982).
La nudité du visage : « La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer. (…) Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins dont le sens consiste à dire : "Tu ne tueras point". Le meurtre, il est vrai, est un fait banal : on peut tuer autrui ; l’exigence éthique n’est pas une nécessité ontologique. L’interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même si l’autorité de l’interdit se maintient dans la mauvaise conscience du mal accompli, malignité du mal. » ("Éthique et Infini", 1982).
Le dire plus important que le dit : « C’est le discours, et, plus exactement, la réponse ou la responsabilité, qui est cette relation authentique. (…) Il est difficile de se taire en présence de quelqu’un ; cette difficulté a son fondement ultime dans cette signification propre du dire, quel que soit le dit. Il faut parler de quelque chose, de la pluie et du beau temps, peu importe, mais parler, répondre à lui et déjà répondre de lui. » ("Éthique et Infini", 1982).
Levinas, philosophe essentiel du XXe siècle pour éclairer le XXIe siècle
Comme je viens de l’expliquer, Emmanuel Levinas a défriché tout un terrain philosophique jusque là inexploré, celui de l’éthique et de l’altérité. Reprenant le judaïsme et le christianisme, mais aussi le platonisme et les enseignements de Husserl et Heidegger, Levinas insiste sur la grande responsabilité d’être en relation à autrui, figure de l’altérité qui est en même temps celle de la transcendance et de l’infini, sur le caractère sacré de chaque vie humaine. Ce n’est pas un hasard si la principale association dans laquelle il s’est beaucoup impliqué a été longtemps présidée par celui qui fut Prix Nobel de la Paix et fondateur de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Peu après la mort de Levinas, voici ce qu’expliquait le théologien français Marcel Neusch, spécialiste de saint Augustin, sur son œuvre : « Le décentrement que [Levinas] nous oblige à faire du "Je" vers le "Tu", et au-delà de la relation du face-à-face, vers le tiers, c’est-à-dire l’autre, l’étranger, ne peut que déranger une civilisation du quant à soi. Ce qui est en jeu, chez Levinas, c’est une certaine manière de concevoir les rapports des hommes entre eux. Alors que toute notre civilisation exalte le "Je", que Pascal trouvait déjà haïssable, un "Je" qui pense et organise tout à partir de lui-même, Levinas accorde la priorité au "Tu", non pas le "Tu" que je choisis ou reconnais comme mon semblable, mais le "Tu" de rencontre, l’étranger, qui se met au travers de ma route, et me convoque à ma responsabilité. » (janvier 1996).
En cette époque d’afflux massif de réfugiés afghans, irakiens et syriens en Europe (le seuil du million a été franchi ce mardi 22 décembre 2015, à comparer avec les soixante millions de personnes qui ont dû migrer dans le monde cette année), ces propos montrent à quel point la pensée d’Emmanuel Levinas est moderne et mériterait d’être plus lue ou entendue pour appréhender les enjeux d’aujourd’hui.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 décembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Simone Weil.
Étienne Borne.
Paul Ricœur.
Emmanuel Levinas.
Hannah Arendt.
Bernard d'Espagnat.
Jean Cocteau.
Édith Piaf.
Charles Trenet.
Roland Barthes.
Karl Popper.
Jean d’Ormesson.
André Glucksmann.
BLH.
En cette époque d’afflux massif de réfugiés afghans, irakiens et syriens en Europe (le seuil du million a été franchi ce mardi 22 décembre 2015, à comparer avec les soixante millions de personnes qui ont dû migrer dans le monde cette année), ces propos montrent à quel point la pensée d’Emmanuel Levinas est moderne et mériterait d’être plus lue ou entendue pour appréhender les enjeux d’aujourd’hui.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 décembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Simone Weil.
Étienne Borne.
Paul Ricœur.
Emmanuel Levinas.
Hannah Arendt.
Bernard d'Espagnat.
Jean Cocteau.
Édith Piaf.
Charles Trenet.
Roland Barthes.
Karl Popper.
Jean d’Ormesson.
André Glucksmann.
BLH.
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